Décevante mais rebelle de l’être: c’est quoi ton problème l’Alliance ? – Partie I

Lorsque j’ai découvert Star Wars Légion, mes yeux brillaient devant toutes ces figurines de la Guerre des Étoiles. Je me projetais général, ordonnant à mes hommes de se faufiler entre les bâtiments de Tatooine. Je les voyais tendre des embuscades, mettre en place des diversions avec des grenades fumigènes pendant que d’autres plaçaient des bombes, pour la bonne cause. Trois ans plus tard, peu de mines ont sauté. Les visières des Stormtroopers n’ont essuyé que quelques griffes et leur armure sont restées d’un blanc immaculé, comme mes lancers de dés. Jyn Erso et sa clique sont rentrés bredouilles de nombreuses fois sans avoir eu l’occasion de « faire des trucs de rebelles ». L’Alliance Rebelle est-elle la faction la moins bien réussie du jeu ? Je le pense et je compte même vous le démontrer.

Bienvenue dans cette première partie de « C’est quoi ton problème l’Alliance« , une série d’articles traitant des erreurs de game design commises lors de la création de l’Alliance Rebelle dans Star Wars Légion. Cette série est classée sous la catégorie Carte Blanche, signifiant qu’ils sont une vision subjective – la mienne – mais argumentée pour fournir une critique constructive.

Elle est où ma rébellion ?

Le principal reproche que je fais à l’Alliance Rebelle dans Star Wars Légion, c’est que son identité définie dans les films a été mal retranscrite dans le jeu. Les actions qu’entreprend le joueur pour mener ses troupes à la victoire ne coïncident pas avec l’idée que l’on se fait des tactiques de la rébellion pour y parvenir:

  • attaques surprises
  • sabotages
  • explosions
  • déguisement
  • infiltration
  • sacrifice…
– Ces types jouent avec des versions miniatures de nous-mêmes. Sauf qu’ils nous font faire des trucs bizarres !
– Comment tu as fait pour trouver mes magazines ? Je pensais les avoir bien cachés pourtant.

L’Alliance Rebelle a-t-elle fait fausse route dans Légion ?

Oui, je le pense. Pour le justifier, il faut remonter à la conception de Star Wars Légion et de manière plus générale à l’art du game design.

Voyez-vous, il existe en game design deux approches possibles pour concevoir un jeu dont l’univers a son importance:

  • Le design « top-down » (ou le « Haut en bas » dans la langue de Molière): c’est une approche qui consiste à laisser l’univers du jeu (son histoire, ses personnages, etc.) dicter les mécaniques du jeu.
    Par exemple, si Dark Vador a la capacité d’étrangler ses adversaires avec la Force, alors cette aptitude sera retranscrite dans le jeu. En revanche, il sera interdit d’offrir une capacité de téléportation à C3-PO. Cela ne correspond pas au personnage imaginé par George Lucas. Le design Haut en Bas est celui qu’il faut mettre en place lorsque l’immersion est au centre de l’attention.
  • Le « bottom-up » (ou le « Bas en haut » pour les anglophobes). Dans cette approche, c’est le processus inverse: ce sont les mécaniques de jeu qui vont définir l’univers. Par exemple si pour le bien être du jeu, une unité doit pouvoir se régénérer, vous allez devoir imaginer/justifier cette capacité scénaristiquement parlant. Vous pourriez par exemple inventer une race d’hommes-étoiles-de-mer ou une potion magique qui ressuscite . Le design Bas en Haut est celui qu’il faut utiliser lorsque l’expérience ludique est au centre de l’attention.

Adapter une licence en jeu se fait systématiquement de Haut en Bas. Si je vous explique cela, c’est que selon moi, certaines unités de l’Alliance Rebelle n’ont pas été conçues de « Haut en bas » comme suggéré mais bien de « Bas en haut ». Et c’est ce choix qui génère cette dissonance entre les attentes du joueur et la réalité du jeu.

Mais pourquoi diable les développeurs ont-ils opté pour cette approche alors ? Un élément de réponse se situe dans la difficulté d’équilibrer un jeu asymétrique.

Équilibrer un jeu asymétrique, un casse-tête à n’en plus finir…

Connaissez-vous la différence entre un jeu symétrique et asymétrique ? Pour faire simple, c’est une manière de caractériser si un jeu oppose des armées ou pions identiques et si les joueurs disposent ou non des mêmes capacités pour remporter la partie.

Par exemple, le jeu d’échec est un jeu symétrique: chaque joueur dispose du même nombre de pièces et des mêmes capacités. Les pions noirs ne sont pas plus forts que les pions blancs. Enfin, si ce n’est qu’une des couleurs commencera toujours à bouger ses pions en premier. Par essence, un jeu symétrique est équilibré.

Dans un jeu asymétrique, comme Star Wars Légion par exemple, l’équilibre est beaucoup plus délicat à atteindre. Vu qu’on ne compare plus des pommes et des pommes, comment s’assurer qu’unité lambda à la même valeur que son unité ennemie équivalente ?

Une solution en game design consiste à opposer des réciproques. Par exemple, si une unité est douée pour l’attaque mais pas pour la défense, alors l’unité ennemie sera déforcée en attaque mais renforcée en défense. C’est typiquement l’exemple du bleu et du rouge dans Magic The Gathering, deux couleurs ennemies. Si vous observez la force et l’endurance des créatures ci-dessous, vous remarquerez qu’elles sont des réciproques l’une de l’autre. Le Léopard est taillé pour l’attaque tandis que l’ondin pour la défense.

Dans le cas de Star Wars Légion, Fantasy Flight Games avait appliqué la même technique des réciproques aux deux factions initiales du jeu, à savoir l’Alliance Rebelle et l’Empire. Les Stormtroopers bénéficiaient d’une bonne défense (dé rouge) tandis que les rebelles devaient se contenter d’une sauvegarde faiblarde (dé blanc). En revanche, la précision de leur tir était bien meilleure que celle des troupes impériales.

Le souci avec cette technique des réciproques, c’est qu’elle n’est pas compatible avec un design « Haut en Bas ». Pourquoi ? Parce qu’en s’acharnant sur la logique des réciproques, vous encourez le risque que l’une des deux unités ne soit plus une image fidèle de la licence, mais seulement de son unité ennemie. Le game design prend le pas sur l’univers. Vous me suivez ?

Selon moi, c’est exactement ce qu’il s’est passé lors de la création des troupes de bases impériales et rebelles. FFG a dû commencer par la création des Stormtroopers. Étant souvent présents à l’écran, il était facile de retranscrire leur identité telle que leur incapacité à toucher une cible. Les Stormtroopers ne pouvaient que hériter de dés blancs offensifs. Pour contrebalancer ce défaut, une bonne défense leur a été assigné. Après tout, ils portent une armure. Puis logique de réciproque oblige, le profil des Rebelles de base s’est construit tout seul. Rien de plus simple, il suffit de générer les valeurs opposées: Il en ressort alors des rebelles fébriles avec une bonne capacité de tir. Mais ce résultat reflète-t-il encore les soldats rebelles vus dans les films Star Wars ?

L’Alliance, perdue dans le palais des miroirs

FFG ne s’était pas limité aux troupes avec ce design de réciproque. Les développeurs ont appliqué cette même recette à certains héros et vilains. Le cas le plus flagrant est celui du Général Veers et de Leia :

Dans cet exemple encore, je pense que FFG s’est d’abord laissé séduire par le côté obscur avant de s’attaquer au profil de Leia, aussi étrange que cela puisse paraître. Veers apparaît peu à l’écran par rapport à Leia. Cependant, la fille Skywalker a peu de scènes où elle incarne son rôle de commandant en pleine bataille contrairement à son homologue. Même brièvement, le Général Impérial incarne bien son rôle de commandant au cinéma. Il observe attentivement le champ de bataille avec ses jumelles et ordonne des frappes. Ceci correspond à sa carte de commandement 1 et aux capacités Précis 1 et Observateur 2. Malheureusement, la logique de réciproque obligeait les développeurs à donner la capacité Mettre à Couvert 2 à Leia. Mais qui parmi nous associe cette capacité à la princesse d’Alderaan ?

« Et cette scène dans l’épisode VI quand elle ordonne à tout le monde de se mettre à couvert, M.É.M.O.R.A.B.L.E ! »

En revanche FFG avait visé juste avec la capacité Inspiration 2. De par son statut social et sa conviction, elle est une source d’espoir et un exemple de combativité pour la rébellion. Je dirais même que FFG aurait pu pousser son courage à 3 pour faire écho à son face-à-face avec Vador dans Tantive IV.

Les unités rebelles, toutes pensées de Bas en Haut ?
Bien sûr que non ! Il existe bien évidemment des unités rebelles qui ont bénéficié d’un design Haut en bas. Les faits et gestes des Soldats de la flotte par exemple sont fidèlement retranscrits dans Star Wars Légion. Alors que Tantive IV est sur le point de se faire aborder, les soldats accourent vers les sorties, se mettent à l’abri comme ils peuvent et pointent leur pistolets blasters visant les portes, attendant la venue de l’ennemi.

Une poignée d’hommes, vraiment ?

Les actions d’une poignée de rebelles qui tentent de renverser le pouvoir omniprésent de l’Empire dans la galaxie sont les prémices de la trilogie originale. L’Empire semble disposer d’une infinité de bataillons de Stormtroopers, tandis que du côté de l’Alliance chaque vie perdue est vécue comme une lourde perte.

Dans Star Wars Légion en revanche, ce déséquilibre Alliance-Empire ne se fait pas ressentir. C’est plutôt l’inverse. En général, les listes rebelles contiennent plus d’activations que celles de l’Empire. De plus, les bataillons d’hommes sont identiques: une unité de Stormtroopers contient 4 hommes par défaut et il en est de même pour les soldats rebelles.

En tant que joueur rebelle, on ne se sent donc pas en sous-effectif par rapport à son adversaire impérial. C’est un détail mais qui renforce cette idée que la retranscription de l’identité de la Rébellion semble avoir été délaissée au profit d’un meilleur équilibre inter-faction.

Bilan – première partie

Dans ce premier article, je voulais avertir les futurs joueurs Rebelles que l’Alliance dans Star Wars Légion est bien différente de celle aperçue sur grand écran. La faute à des décisions de game design, comme ce choix discutable d’allier unités réciproques et conception « Haut en bas ». D’ailleurs, cette approche n’a pas été retenue pour la création des factions de la Guerre des Clones. Erreur à moitié avouée ? Une chose est sûre, si l’Alliance Rebelle avait été créée de nos jours, elle aurait sans doute bénéficié d’une toute autre approche. Lire la partie II